GOINGWEST
Le Webzine du Projet52
Si tu suis les péripéties de la famille Vallet, alors dans ton carnet d’adresses tu as déjà raturé et corrigé notre adresse plus de 20 fois. En 30 ans de mariage, 24 déménagements… La vie parfaitement normale de gens tout à fait classiques en fait (blague)
Du coup tu penses bien que déménager, changer, faire et défaire sont des notions plutôt (très) familières chez nous. D’ailleurs, touts petits déjà on s’adaptait aux contextes, aux usages, aux personnes différentes… Ça nous faisait grandir. D’un coup. Souvent, mes parents, mon frère et moi avons eu cette discussion « peut-être que, si nous avions fait autrement… nous aurions pu… vous auriez eu… ». Moi, je n’ai jamais regretté cette vie de nomade des temps modernes : j’aime le changement, j’aime quand les choses bougent ; quand ça se bouscule et quand tout évolue tout le temps… c’est grâce à tout ça que l’imprévu ne me fait plus peur.
En cultivant mes souvenirs d’enfance au 4 coins de la France, j’ai réalisé qu’il existait un endroit sur cette planète que je connais mieux que tout autre : souviens-toi des pélicans imaginaires qui volaient au-dessus du toit, des histoires à rallonge que je vous racontais innocemment au bord du canapé beige, des coups de gueule… dans le bureau, de nos mesures marquées dans l’encadrement de la porte. De l’empreinte de nos mains sous les carreaux de la salle-de-bains, de l’odeur du sous-bois dans la pinède et la couleur du feu qui crépite dans l’immense cheminée… souviens-toi des éclats de rire en famille, des mille et une cachettes, du magnet-domino collé sur le frigo depuis 20 ans, des lézards sur la terrasse, de l’échiquier géant qui joue les cadrans solaires, des odyssées merveilleuses que l’on menait, mon frère et moi dans le jardin… Sans oublier les nuits étoilées prétextes imparables pour nous raconter l’Univers, les astres et les improbables vies au-delà de la nôtre. Mes invisibles souvenirs de petite fille sont dans les murs de cette maison ; ils marquent chaque recoin de la Sweety… et je suis seule à les voir. Quand je repense à mon enfance, c’est toujours ici que mon esprit revient se cacher, quelque part au milieu des pins et des chênes grandioses. Ici, pas besoin d’attendre la nuit pour rêver.
Petite, j’ai toujours idéalisé cette maison. LA maison familiale, celle de mes grands-parents, de mon arrière grand-mère. Celle où il faisait bon vivre sous le soleil de Provence… Grande, je la vide. Je tire un trait. Un trait pour toujours ; j’apprends à comprendre que nous ne reviendrons plus. Plus jamais… ce définitif, je ne l’avais jamais vraiment pris en compte. Alors hier j’ai fait le tour. Je me suis allongée un grand moment sur le carrelage brûlant d’une des terrasses et j’ai pris le temps. Le temps de m’imprégner, de ressentir, de regarder. Et j’ai vu. J’ai vu les nuages onduler au-dessus du toit… et j’ai entendu les branches des arbres craquer dans le vent. J’ai vu les oiseaux se poser, chanter et les écureuils courir dans la forêt. Puis, en me relevant, j’ai vu cet horizon qui m’appelle ! D’ici on voit à des kilomètres et, entre les barreaux en fer forgé vert de la rambarde, j’ai vu la lumière rasante d’un timide soleil de printemps se jeter sur la face Ouest du clocher du village… Encore un brin de couleur avant la nuit.
Plus tard, je suis sortie et les étoiles brillaient fort au-dessus de la maison. Bien sûr j’ai pensé à toi. Je me suis adossée au mur et j’ai eu peur. Peur d’oublier. Je réalise que c’est très bête de le présenter comme ça et, bien que je n’ai aucune envie de vivre dans le passé, je réalise doucement que bientôt tout sera fini ; j’y aurai contribué. C’est pas facile. Même si je ne peux que mesurer le poids de ces murs et comprendre la charge d’une telle bâtisse… Je comprends… Mais c’est un déchirement de devoir se défaire de 4 générations de souvenirs. De constater que cet endroit, autrefois merveilleux, est aujourd’hui un fardeau. Un fardeau qu’aucune de nos épaules ne peut soutenir.
Ces 2 derniers mois de vide-maison quasiment ininterrompu ont été éprouvants. Émotionnellement. Physiquement. Quotidiennement.
Chaque jour, en plus des émotions qu’il faut dompter, il faut gérer des choses. Des choses bêtes, sans portée… qui te bouffent la vie : ranger le lave-vaisselle, faire à manger et les courses, nettoyer, anticiper, organiser… et vendre ou donner en souriant aux gens ! Ceux qui négocient nos souvenirs bradés… Ceux qui se doutent, et abusent… Ceux qui annulent sans prévenir… sans se douter des conséquences de leur inconséquence. Les gens, quoi !
Un quotidien sans filtre ni forme. Avec des grands hauts. Et des grands bas. Des doutes. Beaucoup. Du courage… tellement. Et, comme si ça ne suffisait pas, une vie chronométrée, millimétrée depuis des semaines… J’ai envie de fuir. J’ai envie de rester. J’ai envie de rire. De pleurer.
Alors, à la première occasion, avec Cédric on redécouvre la région de naissance de notre grand-père. Entre les oliviers centenaires et les lavandes parfumées on s’offre une trêve de tout. Des rendez-vous administratifs, des cartons, du rangement, des gens, des obligations… et même de nous. Bonus, Laure, que je ne te présente plus, vit dans la région donc les moments suspendus, on se les offre devant un thé. On les brûle autour d’une chicha. Toutes les occasions de se revoir sont un prétexte pour changer d’atmosphère… pour souffler un instant ; se ressourcer. Rien qu’un moment. Et puis, en dehors de nos virés sur Aix, Cédric et moi avons plaisir à parcourir la belle Provence et à imprimer NOS souvenirs : La Bastide, Saint-Michel, Mane, Oraison, Pierrevert… et aujourd’hui, à Forcalquier, en haut de la citadelle, où la vierge dorée semblait nous observer. Haletants après l’effort d’un dénivelé très pavé, main dans la main, on a regardé s’envoler au-dessus de nos têtes, dans le vent chaud et l’air lourd d’une journée orageuse, nos tracas quotidiens. On est montés ; on a vu. Puis on est descendus et on a lu les mots d’amour qu’une vieille femme venait de coucher sur le papier, s’adressant aux cieux « protège mes enfants et petits enfants qui sont des êtres merveilleux » … Il semblerait que là-haut, l’horizon ait laissé place à un avenir dégagé.
Dans 4 semaines, c’est moi qui donnerai le dernier coup de clé à la maison. Derrière la porte, un espace vidé. Complètement. De tout les épisodes de nos vies. Dans 4 semaines nous aurons tous fermé ce livre-là et chacun commencera une nouvelle vie. Même la Sweety. Boucler la boucle… reprendre la route avec pour seul bagage des souvenirs à trimbaler vers l’horizon. Dans 4 semaines j’enfilerai (à nouveau) mon uniforme pour une saison à Bourg-Saint-Maurice (d’où je t’enverrai ma prochaine newsletter), je serai plus forte, plus riche, plus déterminée encore avec des projets plein la tête et des envies plein le coeur !! Et puis, dès l'automne je reprends mes aventures là où je les ai laissées … dans l’hémisphère Sud.