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GOINGWEST

Le Webzine du Projet52

J-30 de mon retour et J+113 de mon départ

J’entame tout juste ma neuvième semaine ici, dans les lointaines contrées du Colorado. On mange encore dehors presque tous les midis quelques jours après Noël… Incroyable climat : l’année dernière à la même époque Danny pistait, dans son jardin, les traces d’un cougar dans la neige… Cette année c’est différent. Oh ! Quelques flocons sont tombés la semaine dernière mais ils ont fondu en 2 heures seulement… c’était aussi mignon que ridicule. Le fond de l’air est frais et la brise du soir nous rappelle que l’hiver est là. En attendant, on profite des extérieurs, d’un magnifique ciel bleu et du soleil encore quelques jours. C’est agréable.

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Je ne me lasse pas de te raconter l’évidente beauté des paysages du Colorado parce que je n’imagine pas qu’on puisse se lasser d’observer ces canyons, majestueux et millénaires qui m’entourent. Je suis sûre que, comme moi, tu apprécierais de te balader dans l’arrière pays et d'y découvrir les centaines de mines abandonnées que, jadis, certains creusaient tant et plus à la recherche d’Uranium. Tu toucherais, littéralement, du bout des doigts les roches millénaires, ocres et grises qui, érodées par le vent, l’eau et le temps s’effriteraient, un peu, dans ta main. Comme moi… tu marcherais sur ces terres, arides et crevassées par l’air chaud et sec de l’Ouest… de l’Ouest américain… et chacun de tes pas ne serait que poussière dans la brise. Si tu sais te faire silencieux, tu auras sûrement la chance de croiser la route d’élans, de cerfs et de biches, de cougars, d’antilopes ou de coyotes ! De si près que tu entendrais leur souffle… leur majestueuse présence… Qui sait ? Ils sont en nombre dans la région. Et puis, comme un bonheur ne vient jamais seul, je suis sûre que, comme moi, tu ne te lasserais pas d’observer la ligne de crête des fabuleuses Rocheuses avant de partir, encore et encore, à leur découverte.

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La nature a construit les montages et les hommes les routes pour s’y rendre. Le Colorado c’est un peu, comme dans notre belle Ariège, l’histoire d’un secret bien gardé : pour en apprécier toute les subtilités, il faut se donner du temps. Si, comme les touristes tu traces la route (sur les autoroutes ou ce qui en tient lieu) alors tu pourras dire que tu as sillonné les plus belles routes de l’Ouest Americain. Et tu auras raison.  
Mais le Colorado, il se découvre dans le regard d’un local ; d’un enfant du pays. Dans mon cas, celui de Danny. D’abord on se retrouve dans le salon et je l’écoute me parler de c-s-es terres qu’il connait si bien et dont il me conte les histoires. Puis très vite la curiosité nous amène sur les routes. Les routes non-goudronnées.  Celles qui sont loins des villes et villages tracés au cordeau … Les paysages du Colorado défilent et se dévoilent au fil des kilomètres.

Très vite tu apprendras à emprunter les chemins de traverses.  A repérer les clôtures… à différencier celles qui appartiennent à des particuliers de celles qui sont à l’Etat et au travers desquelles tu as toute liberté de t’aventurer. Très vite, tu auras une insatiable fringale pour cette sensation de Liberté que procure le paysage qui se métamorphose. De route en chemin escarpé, dont la maintenance n’est faite qu’occasionnellement, le goudron est littéralement avalé par les éléments. En quelques années, la route ressemble à des pas japonais sur un lit de gravel … Tu ne jugeras pas … Et tu comprendras l’utilité des pick-up surélevés qui, de secousses en crevasses, te conduisent au bout de la route  vers de vastes étendues … sauvages et colorées … Tu seras bouche-bée devant la magie de ce spectacle simple et grandiose. Et, pour mettre une touche finale à ce tableau incroyable, le Far West t’offrira en prime, dans un nuage de poussière rouge, de croiser la route d’un authentique « cow-boy » en Santiags, Stetson et cuir… Chamboulé-e, forcément, tu auras découvert « le vrai » Colorado… celui de la Ruée vers l’or. Celui qui a attiré, à la fin du XIXe, un nombre insensé d’hommes et de femmes, en quête d’un ailleurs meilleur.

Nous partons sur les traces de ces nomades, travailleurs et mineurs de fortune(s).
Je marche dans des pas abandonnés. Entre maison et mine. Entre vent et poussière. Des planches sont empilées ; posées contre un imposant rocher. Je m’approche… Je regarde. Au travers du jour de deux planches, je vois le toit qui s’est effondré… il git, au sol. Il y a l’emplacement d’un poêle à bois. Une cheminée. C’était donc une habitation. Je fais le tour. L’encadrement de la porte est toujours debout, j’enjambe l’amas de planches qui jonche le sol et me tiens debout, au milieu de la pièce qui devait faire office de salon et de chambre. Qui sait combien vivaient là ? C’est fou. Je tourne la tête… Une ouverture… l’encadrement d’une fenêtre attire mon attention. Je m’approche. Elle donne directement sur la falaise. Abrupte. Les résineux qui, enracinés dans la roche ont trouvé ici un habitat idéal, sont embrasés par la lumière de cette fin d’après-midi. J’imagine que les mineurs, même harassés par leur dur labeur, même usés par leur infortune ont dû regarder par cette même fenêtre… Je me demande si ce fabuleux spectacle leur amenait le moindre réconfort.
Je continue ma route.

 

Je suis les traces de ceux qui croyaient trouver un trésor au milieu des canyons et des rochers. La mine est juste au-dessus de nos têtes. Impossible de la louper. Comment était la vie, dans cette vallée, il y a deux ou trois cents ans. Je les entends presque rentrer à leur campement… dans un pas lent. Epuisé. Le dos courbé par les heures passées accroupi dans une atmosphère lugubre et un air presque suffocant.
Aujourd’hui abandonnée, l’exploitation des mines a permis à certains de s’enrichir, du moins un temps, alors que d’autres prenait la tangente et tentaient de survivre… quelques kilomètres plus loin.

Je marche sur le sol sec et poussiéreux de ceux qui ont réussi à vivre loin de tout. Là… au-milieu de rien… ils ont décidé de s’installer. De construire une vie. Un Etat. Un pays. Ils ont trouvé du bois pour se chauffer et ériger des cabanes où s’abriter… et ils ont trouvé de la viande pour se nourrir. Tout le monde pensait que c’était impossible, en est arrivé un qui ne le savait pas et qui l’a fait… Là, au milieu de rien ils se sont acclimatés à la région… se sont adaptés aux éléments. Ils ont vécu.
Parsemées sur le sol, les canettes aplaties et les boites de conserves rouillées sont les traces de leur passage… Les fossiles de la vallée.

On prend la 141Nord. Au bout de la route c’est la ville. La grande ville. Grand Junction, avec ses magasins, ses restaurants, sa foule et toute l’effervescence qu’une ville peut apporter. Nous empruntons la 141 un instant, longeons Dolores, la rivière, puis la quittons assez vite pour la route P12 avec comme seule instruction « à droite après le virage » … Cap sur le Blue Mesa.

J’avais repéré ce plateau plusieurs fois lors de nos déplacements à Grand Junction. En même temps impossible de manquer sa couleur bleue turquoise qui tranche avec l’ocre qui domine sur la vallée.
On parle d’une bactérie qui se serait développée dans la roche …  D’un minerai qui serait la cause de cette couleur… Certains évoquent même un phénomène radioactif… Au fond, personne ne sait vraiment expliquer pourquoi le sol, ici, a cette couleur si particulière… Donc… puisque personne n’a de réponse, on part à l’aventure ! Danny stationne le pick up au départ du sentier qui mène en plein coeur du merveilleux. On marche. Une bonne heure. On s’arrête. On observe. On se remet en route. Puis on s’arrête à nouveau pour regarder. On monte. On descend. Progressivement le sol passe du rouge au gris, puis au bleu. Un bleu turquoise assez pale. La vue sur la vallée et la rivière est à couper le souffle. La brise rafraîchit le fond de l’air et le mystère de Blue Mesa reste entier.

De retour au pick-up, il est l’heure du repas que Shirley a prévu en pleine nature.

On récupère quelques branches ; Danny allume un feu de camp et se confiant à Shirley  « On peut lui donner son cadeau d’anniversaire maintenant ? »
C’est que la veille, c’était mon anniversaire vois-tu. Je n’ai pas l’habitude de « faire » quelque chose pour mon anniversaire. Je ne suis pas très à l’aise à être le centre de l’attention alors à quoi bon « fêter ». Tu commences à me connaitre maintenant… j’ai du mal à faire quelque chose si ça n’a pas de sens. Et puis le cadeau je l’ai tous les jours depuis 3 ans… (Quand j’y repense, j’étais en Ontario pour mes 22 ans, en Saskatchewan pour mes 23 ans, en Nouvelle-Zélande pour mes 24 ans et me voilà à J+1 de mes 25 ans en plein coeur  du Colorado).
Ils ont tout prévu. Je pose mon sac à dos. Emue. Je m’approche et ouvre le petit paquet blanc que Shirley me tend. J’y découvre un couteau Suisse. Un vrai. « C’est mon premier » je leur confie. Je les regarde, leur souris. Je suis touchée. Vraiment. On se prend dans les bras. Le feu crépite, il est prêt. Le repas en pleine nature peut commencer.
Le coffre du pick up servira de table et dessus seront disposés saucisses, pains, condiments et boissons… c’est royal. On se sert et on s’installe sur les troncs autour du foyer. La discussion continue, on partage nos impressions sur l’endroit comme une confidence au coin du feu. Shirley sort une part de gâteau maison. Elle y pose une bougie et tout deux se mettent à me chanter « happy birthday to you … » à l’unisson. Je suis touchée. L’instant est d’une simplicité et d’une gentillesse inégalables. C’est juste mignon ! Leur geste me touche en plein coeur. Nous sommes aux pieds des falaises d’un canyon -inexplicablement- bleu, le feu crépite encore et c’est ici que je commence le jour 1 de cette 25e année de ma vie. J’aurais pas pu rêver mieux. Royal je te dis !

La saison des fêtes arrive et (comme tu t’en doutes déjà) je ne suis pas de ceux qui s’extasient devant un sapin décoré avec une quantité de cadeau à son pied. Je n’ai pas prévu un buffet sur la table et je ne serai pas à la messe de minuit dans l’église du village. Non.
Par contre j’ai prévu de profiter de Shirley et Danny deux jours avant de les quitter pour de vrai. J’ai prévu de rire et de trinquer avec eux. Peut être même finirons nous le meuble qu’on a commencé ensemble et dont les portes ne sont pas encore montées. C’est pas très Christmasy mais ça me ferait vraiment plaisir de finir ce projet avec eux. J’ai juste envie de remplir ma besace à souvenirs… un peu plus qu’elle ne l’est déjà.

Je suis à quelques jours de mon départ. Celui du Colorado mais également celui de l’Amérique du Nord.

J’entame 2018 sous le signe de l’aventure ; rien qu’en Janvier je vais parcourir encore plein de kilomètres : 30 jours et 4 pays… avant de rentrer en France ! Je te promets du chaud et du froid. Des retrouvailles et des découvertes. Mais surtout le plaisir de retrouver la Route en duo… et en solo.

Je ne t’en dis pas plus mais  je te retrouve le mois prochain… quelque part sur notre planète.

D’ici là, reste au chaud ! Et Bonne Année…

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